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Yahwhe Jireh



“Et Abraham leva ses yeux, et vit,

et voici, il y avait derrière lui un bélier

retenu à un buisson par les cornes;

et Abraham alla et prit le bélier,

et l'offrit en holocauste à la place

de son fils.” - Genèse 22.13, Darby



Le soleil se couche sur une journée difficile. Je me dis que c’est une grâce immense de voir cette heure. Je n’aurais jamais pensé vivre de telles épreuves. C’est vrai que ça n’a jamais été facile d’être chrétien dans ce pays, mais là… Je reviens du huitième poste de police de la journée avec Hua. Hua… Ce garçon est une merveille. Je suis admirative devant cette tête bien faite, dont les yeux sont fixés sur le chemin. Je devine le sujet de ses pensées. Ne les partageons-nous pas, nous qui avons été compagnons de douleur aujourd'hui. Pourquoi mon garçon devrait vivre de telles choses ? Un temps je me révolte de cette innocence qui lui est volée, mais je me réprimande très vite. C'est un sujet de gloire ! Je dois me réjouir d'être dans de telles tribulations… Mais mon être tout entier crie au-dedans de moi, comme pour échapper à la douleur à venir.

Dans la pénombre quasi totale, nous gagnons notre quartier. Enfin des lieux connus et familiers. Nous sommes loin de Pékin. Je distingue maintenant à peine Hua, tout comme le chemin qui trop souvent se dérobe sous mes pieds. Ou est-ce l'inverse ? Épuisée par une journée de marche, je faiblis dans les derniers mètres qui nous séparent de notre maison. Hua, mon gentil garçon, attrape mon bras dans un tendre "attends, maman !", pour s'assurer que je ne tombe pas. Ce geste attendrit mon cœur. Son attention et sa prévenance me touchent. Que sa patience et son amour soient renouvelés, Seigneur. Je suis bénie d’avoir un tel garçon pour fils. Il m’a accompagnée toute la journée dans la tournée des postes de police, sans jamais broncher, sans jamais se plaindre.

Nous rentrons donc bredouilles aux heures de la nuit, retrouvant les six autres enfants que Ying a gentiment nourri. Je libère mon Hua de son devoir et après avoir embrassé chacun de mes sept petits je me retire dans ma chambre désormais vide. Je ferme la porte. Je ne veux pas qu'ils entendent ce qui va suivre. Le silence… Il achève mon cœur alors que mes yeux se portent naturellement sur mon lit vide. J’expire bruyamment et m’effondre en ravalant mes pleurs et mes cris. Qu’allons-nous devenir, m’écrie-je en tombant face contre terre. Je suis allongée de tout mon long. Si je pouvais me noyer dans mes larmes, je crois que cela aurait été le cas ce soir-là.

Sincèrement, je crois en Dieu, mais là c’est au-dessus de mes forces. Une femme, âgée, malade avec sept enfants dont deux sont en bas-âge… Seigneur, veux-tu me tuer ? Si tu m’enlèves mon mari, que vais-je devenir ? Je songe aux dettes que nous avons, au loyer que dans deux semaines je vais devoir donner et à la nourriture…

Je ne sais pas combien de temps je suis restée sur le sol froid et âpre. Je me souviens juste de la main de Ying se posant sur mon épaule et de son timide "maman".

-Je suis désolée. Je ne voulais pas te déranger… Je t'ai amené à manger, m'annonça-t-elle en me relevant quasi de force.

Elle me lance un sourire et découvre ensuite une soupe de rien du tout aux saveurs enivrantes. Ying c’est mon deuxième bébé. Ma première fille et le soleil de mes jours. Sa douceur et sa bienveillance me désarment toujours. Je lui obéis sans un mot, ne sachant comment refuser quelque chose à un cœur si bon.

Pendant que je lui fais plaisir, elle me fait le rapport de la journée. Les petits qui ont été gardés par notre voisine n’ont pas mangé de la journée et ont pleuré semble-t-il autant de temps. Les jumeaux ont été plusieurs fois interrogés à l’école, si bien qu’après avoir fondu en larmes, Yun est intervenu manu militari pour faire taire les autres enfants. C’est ainsi que Ying qui était au travail a retrouvé ses frères.Mais en vérité le récit m’échappe : mes pensées s’en vont vagabonder ailleurs.

Ying sait tout de moi. Elle m’observe un temps, puis elle pose sa main chaleureuse sur la mienne. Je la regarde avec de grands yeux surpris.

-J’ai la conviction que tout ira bien, maman, m’assure-t-elle avec un ton qui me désarçonne. Comment cette frêle gamine de quatorze ans peut-elle me tenir ce discours. Moi je me sens gagner par l’amertume et la colère.

-Monsieur Cao est passé nous donner une bourse dans l’attente du retour de papa. Il a passé du temps avec Yun et il a prié avec nous. Il aurait bien aimé te voir, mais il devait visiter une autre famille.

Je hoche la tête sans pour autant lui répondre. Au stade où j’en suis, je ne me soucie pas de l’ancien Cao. Je veux mon mari !

Ying devine mes pensées. Elle m’enlace tendrement dans ses bras, puis après m’avoir embrassée, elle débarrasse ma table de fortune et emporte les restes de repas que je ne peux manger. Mon estomac est noué : je ne peux plus rien avaler.

Dans le lit, seule, je ne parviens pas à trouver le sommeil. Mon esprit est sans cesse en éveil : je compte mes pauvres petits yuan. Mais plus je compte et plus je sens monter en moi l’angoisse de tout perdre. Je me tourne. Je songe à ma sœur qui est à Canton. Ne pourrais-je pas lui envoyer Yun ? Mais je suis très vite découragée par le prix du voyage. Je me retourne. Je n’ai aucune issue : je suis perdue…

Je ne sais pas à quel moment je me suis endormie, mais je me réveille en sursaut, alertée par le bruit de marmite qui s’entrechoquent. Les enfants seuls sous la surveillance de Hua, déjeunent. Ying est depuis allée à l’usine. Habituellement, elle ne commence pas si tôt. Je m’en étonne d’ailleurs, mais Hua qui est de mèche avec elle, me fait croire qu’elle avait une course urgente à faire. J’apprendrai plus tard qu’elle s’était arrangée avec le chef d’atelier pour prendre deux postes pour accroître son salaire.


Une fois la maison vide de l’énergie des enfants, je m’occupe à faire place nette. Je me sens étourdie, mais au lieu d’aller me coucher, je préfère me mettre sur le perron de la maison et assise à même le sol, j’observe la ville si lointaine et les oiseaux qui virevoltent dans le ciel. Leur chant m’apaise. Je ferme les yeux et me laisse transporter vers d’autres lieux. couchée sur le sol, les mains soutenant ma nuque, je laisse la paix m'envahir. Je n’entends plus rien d’autre que le bruit de la vie qui sereinement s’écoule sur le rythme régulier de ma respiration. Au cœur de ce silence, il est là. Je songe à lui et à tout ce qu’il a supporté et je me dis que c’est vrai, je suis bien plus précieuse que ces oiseaux.


Mon mari, pasteur, avait été déclaré ennemi de la nation pour avoir malgré l’interdiction de la police, mené une réunion dissidente, entendez par là un culte. Lui et quatre de nos anciens ont passé quatorze longues années en prison. Mais au cœur de ce tumulte, je n’ai manqué de rien. Il y a toujours eu à manger à table pour mes sept enfants et moi. Et tu sais combien ton papa mangeait... Ton oncle a pu terminer ses études de médecine. L’église ne nous a jamais abandonnés.

Je me souviens avec émotion de ce jour où j’ai compris qu’il ne nous délaisserait pas. C’est vrai que je n’ai pas vu d’ange, ni même entendu de voix dans mon cœur. Le pire est que j’avais même oublié ce passage de la Bible qui dit que son regarde est sur le moineaux… Cela peut paraître étrange, mais je bénis Dieu pour cette épreuve et tu sais pourquoi ?

Sur lève vers moi des yeux humides. Je caresse sa joue et la presse contre moi.

-Parce que si je n’étais pas passée par là, je n’aurais jamais su la force qu’il y avait en moi ! Je n’aurais pas non plus su qu’il est puissant et capable de pourvoir même dans le désert le plus aride. Un jour toi aussi, tu verras le bélier que Dieu a préparé pour toi.

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